Il y a quelques temps encore, pour entrer dans le bâtiment où je travaille, il me fallait franchir un sas composé de deux doubles portes. Les
portes n’étaient pas spécialement faciles à ouvrir, et l’hiver, lorsqu’elles restaient ouvertes, un froid glacial envahissait le couloir sur lequel elle donnaient.
Mais on n’arrête pas le progrès. Cette année, le Père-Noël avait dans sa hotte, de belles portes automatiques qui après quelques travaux, équipèrent le fameux sas. La classe! Une entrée toute
neuve. Maintenant, lorsque j’arrive, inutile de sortir les mains glacées que je réchauffe tant bien que mal dans les poches de mon pantalon. Non! Il me suffit d’avancer, de garder mon pas décidé
et volontaire, et d’avoir confiance en la technique. Un capteur détectera ma présence et, sans que je lui demande, actionnera les portes.
Les premiers jours, j’avais presque envie d’entrer et sortir du bâtiment, juste pour jouer avec les portes, mais comme on ne me paie pas pour ça, j’ai abandonné cette folle idée... Néanmoins,
après quelques jours, je fini par me rendre compte que quelque chose avait changé. Quelque chose n’était plus comme avant. Ce qui avait changé, c’était les gens que le sas avale ou recrache à
longueur de journée.
Avec les anciennes portes, nous faisions tout le temps attention qu’il n’y ai personne derrière. Si c’était le cas, nous tenions la porte, quitte à faire une pause pour laisser le temps à la
personne d’arriver. On se disait merci, on se regardait, se souriait, et si on se connaissait, on échangeait quelques mots. Maintenant, ce n’est plus le couloir qui est froid, mais l’ambiance...
chacun reste dans sa bulle. Plus besoin de faire attention l’un à l’autre, le capteur et là pour ça. Plus besoin de politesse ou de galanterie, chacun peut rester concentré sur ce qu’il a à
faire...
Je vous rassure, je ne vais pas monter une association pour l’abolition des portes automatiques... C’est juste une façon de souligner que souvent, des progrès comme celui-ci destiné à nous
simplifier la vie, nous enlève, sans que nous n’y prenions garde, des interactions que nous avions avec nos semblables. Ce qui est dommage, ce n’est pas de perdre ces interactions, mais
simplement de ne pas s’en rendre compte. Nous avons encore un peu moins besoin de faire attention aux autres.
Heureusement, il me reste les portillons de tourniquet dans le métro pour avoir la chance de tenir la porte à une jolie femme... C’est d’ailleurs assez amusant de regarder les gens interagir
entre eux. Ceux qui ont la chance d’avoir encore des portes à l’ancienne à franchir peuvent s’en rendre compte. Si par exemple on ne veut pas tenir la porte à quelqu’un, on accélère le pas pour
mettre la distance nécessaire qui fait comprendre à l’autre qu’il était trop loin pour qu’on lui tienne la porte. Si c’est une jolie femme qui avance, il n’est pas rare de voir un homme adapter
son pas pour se synchroniser avec le moment où elle devra franchir la porte afin de lui faire cette politesse et avoir un sourire en échange. La porte agissant comme un goulet d’étranglement,
nous étions obligés de faire attention les uns aux autres bien avant d’arriver sur elle...
Ce sont tout ces petits échanges gratuits, sans attente particulière que je regrette d’avoir perdu avec les portes automatiques. Les portes s’ouvrent plus facilement mais les coeurs se ferment
encore un peu plus. Une société humaine a besoin de ces échanges qui tissent des liens permanents entre les êtres. Ne nous éloignons donc pas un peu plus les uns des autres. Soyons vigilant
et...
Portez-vous bien...